Rédigé par Aurélia C.
C’est une question qui peut se poser, aussi je vais tenter d’y répondre le mieux possible. La première réponse serait en fait une question, savez-vous seulement à quoi ressemble un canard destiné à faire du foie gras ? Je ne pense pas me tromper en disant que la grande majorité des gens n’en ont aucune idée.
À partir de là, tout est dit et je me dois d’élaborer ma réponse. C’est parce que nous n’avons que peu, voire jamais, d’occasions de tomber sur un canard destiné à être gavé que j’ai pensé judicieux de vous donner des informations sur ces êtres si particuliers.
C’est quoi, un mulard ?
Petit explicatif pour commencer, l’industrie du foie gras gave majoritairement des canards (plus de 90% de la production française) et non des oies, raison pour laquelle je vais m’attarder sur eux. Ces fameux canards sont appelés des canards mulards. Drôle de nom n’est-ce-pas ? En fait il s’agit d’un croisement entre deux espèces de palmipèdes, le canard de Barbarie et la cane de Pékin.
Canard mulard - Crédit photo : Catherine
Le résultat de ce croisement donne donc un canard mulard, espèce créée exclusivement par l’industrie pour permettre d’obtenir un animal plus gros que la moyenne, plus rapidement, pour assurer un maximum de profits. Il atteint environ 5 kg à l’âge de 3 mois et peut atteindre jusqu’à 80 cm de long. Pour vous faire une idée, un cygne tuberculé, l’espèce la plus fréquente en Suisse, fait entre 1,2 m et 1,7 m. Le canard mulard n’est donc pas loin de la moitié d’un cygne, ce qui est déjà pas mal si on a en tête la taille d’un canard colvert comme référence. Le mulard est aussi majoritairement blanc même si des plumes noires le différencient de ses cousins à plumes.
Foie gras versus foie sain - Crédit photo : Gaia.be
Alors voilà, maintenant qu’on a dressé le tableau de cet oiseau aux pieds palmés, pourquoi faut-il les sauver ? Je ne vais pas m’étaler sur l’horreur qu’est l’industrie du foie gras et la méthode que constitue le gavage, vous pouvez trouver toutes les informations pertinentes sur les pages d’associations comme celles de L214 par exemple. Ce que je peux vous dire c’est que ces êtres sont sensibles et méritent qu’on parle d’eux, de leurs conditions, des tortures qu’ils endurent pour le simple plaisir gustatif de certains au moment des fêtes de fin d’année.
En quelques chiffres, chaque année, c’est près d’un million de canards qui sont utilisés pour satisfaire le marché suisse. 500'000 canards mâles sont gavés et 500'000 femelles sont exterminées à la naissance car considérées comme non-rentables selon la filière (leur foie serait trop veineux).
Pour un pays comme la Suisse qui a interdit le gavage sur son territoire depuis plus de 40 ans, je pense qu’il est grand temps que l’on accorde un peu plus d’attention à ces animaux que l’on fait souffrir ailleurs pour les voir finir en morceaux sur les étalages des Migros et autres revendeurs suisses.
C’est dans cette optique que je pensais intéressant de vous parler des sauvetages que nous avons eu le plaisir de suivre et de relayer sur les réseaux sociaux. Le premier était celui de Jay & Joy en fin d’année 2018.
Jay & Joy
Jay et Joy sont deux petits canards mulards mâles nés en France dans une couveuse industrielle de la filière du foie gras. Ils étaient tous deux destinés à ne vivre qu’un seul jour ayant été considérés comme non-conformes. En effet, Jay est né un peu plus foncé que ses copains et cela pouvait être le signe de canard difficile à gaver et Joy est né un peu trop maigre et donc avec un risque de rentabilité moindre. Ils ont été sortis juste à temps par des acteurs engagés pour la cause animale. Le 16 novembre 2018, deux petits canetons de ce sauvetage seront placés dans une famille d’accueil, chez Catherine.
Depuis le premier jour j’ai eu l’immense honneur de suivre leur évolution et la découverte de leur nouvelle vie grâce à leur maman d’adoption. Chaque jour était signe de nouvelles aventures et le début d’une belle vie de canards libres. Le sauvetage n’était pas gagné car il s’est déroulé en hiver et il fallait les tenir au chaud à l’intérieur avec des lampes chauffantes et des linges. Ils étaient si petits et si mignons, on ne pouvait que craquer.
Joy à gauche et Jay à droite - Crédit Photo : Catherine
Je garderai toujours précieusement les premières descriptions de la cohabitation avec leur nouvelle maman :
Ils sont toujours aussi émouvants par leur énergie vitale et leur grande vulnérabilité, les petits. On s’apprivoise et je comprends maintenant le piou piou de contentement et d'excitation et les cris de panique si je m’éloigne en les laissant dans un endroit inhabituel… autre moment trop attendrissant que je ne peux filmer, c’est quand ils se blottissent dans mon cou et se calment. Plus de piou piou, juste un instant de grâce.
Catherine les a aidés à devenir forts et à s’acclimater à la vie en extérieur entourés d’autres copains autour de l’étang ; chats, chiens, autres palmipèdes et même des ragondins !
Ils ne se quittaient jamais et tentaient régulièrement de se rapprocher d’un autre groupe de canard mulards sauvés précédemment.
Malheureusement, Jay nous a quittés le 22 janvier 2019 à l’âge de 2 mois, probablement attaqué par un animal sauvage. Cette nouvelle a été très difficile à accepter pour tous ceux qui connaissaient et suivaient les aventures de Jay mais c’est la vie d’un animal en liberté avec les dangers qui vont avec. Ce qu’il faut retenir c’est que ces deux canards mulards étaient heureux et libres et que tous les clichés et vidéos partagés sur notre page Facebook ne pouvaient que démontrer le fait qu’ils ont une conscience propre et le droit fondamental à la vie comme nous tous.
Ces animaux étaient destinés à une vie brève et ont laissé derrière eux des milliers de frères et sœurs qui ont subi les horreurs de l’industrie. Quand je regarde les photos d’eux aujourd’hui j’ai toujours le sourire et surtout une pensée émue pour ceux qui y sont restés.
Aujourd’hui, Joy se porte très bien et a même réussi à se faire accepter par les autres canards de l’étang. Il continue à vivre des jours heureux loin de l’horreur du gavage. Vous pouvez d’ailleurs voir régulièrement des photos et vidéos de lui et ses amis sur notre page Facebook ou Insta ;)
Joy adulte - Crédit photo : Catherine
Les six filles
Le sauvetage de Jay & Joy nous ayant beaucoup marqués, notre souhait était de continuer à sortir des canards mulards et de les rendre visibles aux yeux de tous et nous avons commencé à chercher de nouveaux endroits d’accueil avec plan d’eau.
Début 2019, nous avons été contactés par une personne qui nous a proposé d’en accueillir sur son terrain. Après plusieurs échanges, la décision est prise d’aller sur place pour juger du lieu d’accueil et de s’organiser alors pour sortir des canards. Au printemps dernier, nous aurons collaboré pour que, cette fois, six canetons femelles échappent à la mort.
Je me rappelle de l’excitation de tous par cette nouvelle et surtout des premières images des petites dans un carton en route vers la liberté.
Chaque sauvetage, même vécu à distance, est un moment intense qui marque à jamais.
Les six canettes au moment de leur sauvetage - Crédit photo : Christophe
C’était la première fois que nous allions suivre des femelles et nous étions inquiets de leur sort compte tenu du peu de canes mulardes en liberté. C’est donc chez Mireille que les six femelles ont été apportées, après même pas un jour de vie en couvoir industriel.
Là aussi, n’ayant pas la chaleur de leur maman auprès d’elles, il a fallu les garder au chaud et à l’intérieur le temps qu’elles grandissent un peu. Comme cela s’est passé au printemps, il ne leur a pas fallu beaucoup de temps pour pouvoir découvrir leur environnement extérieur. Leur maman d’adoption avait elle aussi déjà d’autres animaux et cela faisait longtemps qu’elle voulait donner une chance à ces oiseaux destinés au gavage.
Quand j’ai demandé comment cela se passait avec les petites, Mireille m’a immédiatement répondu :
Je suis tombée amoureuse… les rescapées sont trop mignonnes... elles suivent toujours le même rituel : manger, boire l'eau propre de la bouteille, prendre le bain et faire dodo en groupe.
Cela me touche toujours autant de lire à quel point les familles d’accueil ont cet amour inconditionnel et cette conviction qu’il faut faire quelque chose pour des êtres qui n’ont aucune chance de s’en sortir sans nous.
En novembre dernier, une des petites s’en est allée, probablement entre les dents d’un renard. Nous ne pouvons évidemment pas intervenir sur les dangers de la vie en liberté et cette fin aura peut-être été moins cruelle que celle qui lui était destinée dès le jour de sa naissance. Rappelons que les canettes sont éliminées dès leur naissance ou peuvent être parfois utilisées comme canettes à rôtir avec une durée de vie d’environ une semaine. Quoiqu’il en soit leur vie n’est pas destinée à être bien longue et cette canette aura au moins eu la chance de vivre quelques semaines libre. Et oui, je me rassure comme je peux…
Aujourd’hui, les petites profitent du calme d’un bel étang et ne se quittent toujours pas d’une patte palmée. C’est beau à voir et très touchant surtout quand on sait ce qui se passe derrière les portes des entreprises de foie gras.
Lily & Rose
Lily et Rose les premiers jours - Crédit photo : Catherine
Lily et Rose sont les petites dernières arrivées dans la grande famille des rescapés. Elles ont pu être récupérées, mi mai 2020, par la même famille que Joy. Elles pourront ainsi vivre libre et surtout loin de l’industrie du foie gras qui n'annonçait rien de bon sur leur avenir.
Lily avec ses 92 grammes à son arrivée est plus grosse que Rose (66 grammes) ce qui nous permet de les distinguer pour le moment car elles n’ont pas de tache noire comme leurs frères mulards. La légère tache beige sur leur tête est aussi un signe distinctif mais risque de ne pas durer. Il faudra compter sur la connaissance de leur maman d'adoption qui pourra, elle, les différencier sans aucun doute. Une relation forte s’est tout de suite créée :
Je suis sous le charme… je les tiens dans la main là et c'est émouvant de sentir leur petit cœur…
On va évidemment continuer à prendre et relayer des nouvelles de ces deux mulardes que vous verrez sûrement sur certaines de nos publications Facebook et Instagram.
Une belle et longue vie Lily & Rose !
Lily et Rose à la découverte du monde - Crédit photo : Catherine
Comment aider ces animaux ?
La première des choses est évidemment de ne pas consommer de foie gras, ni de magret, de cuisse, de confit ou de gésiers de canard. Car oui, toutes ces parties viennent d’un canard gavé donc d’un canard mulard.
Vous n’en mangez déjà pas ? Génial.
Du coup, vous vous dîtes que vous pourriez tout aussi bien accueillir des canards sauvés de l’industrie dans votre jardin ?
Si l’intention est bonne, ça n’est pas si simple. Tout d’abord il faut savoir que les canards ont besoin d’un plan d’eau. Je préfère dire un plan plutôt qu’un point d’eau car trop souvent on pense qu’une petite marre fera l’affaire, ce qui n’est pas le cas. Il faudra aussi beaucoup d’herbe autour car oui, les canards adorent manger de l’herbe.
Si vous m’avez bien suivie, je disais plus haut que ces palmipèdes sont assez grands. Il leur faudra donc un bel espace. Et comme ces animaux vivent rarement seuls, et qu’un malheur est vite arrivé, il est même mieux d'en accueillir plus de deux. Vous êtes toujours motivé·e·s ?
Conseils pratiques pour adopter des canards mulards
Pour leur offrir les meilleurs conditions de vie voici la situation idéale :
Avoir un terrain grillagé pour éviter les prédateurs,
Avoir un plan d’eau assez important (environ 10 m par 10 m, du style grand étang…) avec des zones peu profondes au bord pour que les canards puissent entrer dans l’eau et en sortir facilement,
Avoir un espace d’herbe conséquent autour de l’eau,
Avoir un endroit où mettre les canetons à l’abri la nuit quand ils seront assez grands pour sortir (poulailler, par exemple),
Envisager un îlot flottant style radeau pour qu’ils puissent se mettre à l’abri des prédateurs, loin des bords,
Envisager un ponton pour qu’ils puissent observer leur environnement depuis un endroit sécurisé.
Attention, il faudra éviter les endroits sans herbe, comme la terre ou les graviers, car cela leur abîme les pattes.
Dès leur naissance
Il faudrait idéalement les garder avec soi à l’intérieur pour qu’ils ne se sentent pas seuls. Voici donc la liste des choses dont il faudra vous équiper :
Une grande cage dans un endroit calme pour les mettre à l’abri lorsqu’ils seront seuls (fermer la cage la nuit). La cage doit contenir une plaque chauffante spécialement faite pour tenir au chaud les oiseaux à mettre sous des couvertures/serviettes (éviter les lampes chauffantes la nuit afin qu’ils puissent être dans l’obscurité). Enlever la plaque lorsqu’ils n’y vont plus spontanément (environ après les 15 premiers jours),
Prévoir une belle pile de vieux journaux pour le fonds de la cage qui sera à changer régulièrement.
Une coupelle d’eau peu profonde à mettre dans la cage.
Une coupelle de graines de blé mixées ou acheter un aliment de démarrage pour canetons comme Alimentation Versele Lagag Country’s Best Duck (dispo chez Truffaut par exemple).
De la verdure type salade fraîche, trèfles ou brins d’herbe à mettre à disposition.
Si on en a envie, et comme ils vont chercher aussi des vers de terre une fois qu’ils seront dehors, on peut prévoir des vers déshydratés pour poules comme gourmandise (disponible en animalerie).
Sous surveillance, on peut laisser les canetons se promener hors de la cage la journée mais il faut veiller à les éloigner des dangers potentiels de la vie en intérieur (autres animaux, escaliers, plaque de cuisson…).
On peut prévoir une petite corbeille en osier peu profonde (la tête doit dépasser lorsqu’ils sont couchés) avec des serviettes au fond s’ils veulent s’y installer courant de la journée sur une table après avoir vadrouillé partout à l’intérieur.
Corbeille peu profonde pour le repos - Crédit photo : Catherine
Il faudra aussi penser à une coupelle d’eau dans laquelle ils pourront marcher, manger et commencer à se laver. Au fur et à mesure, il faudra adapter le point d’eau à disposition en utilisant par exemple une bassine de plus en plus grande pour qu’ils s’y baignent, et laisser en permanence à disposition des graines et de la verdure autour d’eux.
Ce n’est pas un mystère mais les canetons font beaucoup de salissures. Il faut donc être prêt à nettoyer régulièrement les lieux afin de leur apporter le confort maximum en gardant un espace de vie propre pour vous, et pour eux.
Les premières sorties (après 3-4 semaines)
Il faudra toujours accompagner les canetons lors des premières sorties afin de les surveiller et donc de les protéger. Cela sera aussi nécessaire car ils seront certainement attachés à vous au début et reviendront vers vous en cas de danger.
On peut les laisser s’approcher du plan d’eau quand ils le souhaitent, ils vont rester au bord au début puis prendront leurs aises sur l’eau petit à petit.
Une fois de plus, il faudra prévoir des graines autour du plan d’eau quand ils y seront.
Nous conseillons de rentrer les canards le soir, dans un poulailler ou dans un autre abri fermé et couvert afin de les mettre en sécurité. Ils pourront être libérés à nouveau le lendemain matin. Ils devraient facilement vous suivre surtout si vous les habituez à recevoir des friandises une fois à l’abri. Ne les rentrez jamais de force.
Un poulailler pour la nuit - Crédit photo : Mireille
Avec le temps, les canards pourraient vouloir rester dehors en permanence, il faudra alors aller les voir tous les jours et leur apporter des graines. L’installation d’un îlot flottant pour qu’ils soient à l’abri est donc fortement recommandé car ils peuvent être la proie d’animaux sauvages.
Cet article vous a plu ?
Si vous vous sentez toujours capables de sauver des canard mulards et leur offrir la meilleure des vies, n’hésitez pas à nous contacter et nous tenterons de voir avec vous si un sauvetage est possible. Nous nous réjouissons d’avance de pouvoir publier sur nos réseaux de nouveaux sauvetages.
S’il ne vous est pas possible d’en adopter, passez le message autour de vous concernant l’horreur qu’est le foie gras et aidez les personnes non convaincues à faire le pas vers une consommation sans souffrance.
Dernière possibilité, vous pouvez parrainer un ou plusieurs de nos canards sauvés afin de contribuer à nos actions en direct et nous donner les moyens de continuer notre travail. Votre parrainage nous permettra de financer les soins dont pourraient avoir besoin nos petits protégés. En effet, nous n’avons encore que peu d’informations compte tenu du faible nombre d’individus libres à ce jour. Il nous faut donc prévoir de pouvoir les aider si des moments difficiles devaient arriver. Voici le lien pour faire un don.
Nous restons à disposition pour toutes les questions relatives au foie gras et sommes ouverts à toutes les propositions de soutien.
N’oubliez pas que ces animaux, comme tant d’autres, ont besoin de nous. Chaque geste compte, alors lancez-vous et agissez ! Plus nous serons nombreux et plus vite nous oublierons les atrocités que nous avons fait subir à ces êtres magnifiques.
Rejoignez l’association et/ou faites un don afin de nous donner les moyens de continuer cette lutte !
Stand Stop Gavage Suisse - Crédit photo : Aurélia
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